Cette dénomination « Ecole de Bruxelles » est née dans les années 1960, dans le sillage des travaux de Chaïm Perelman, Paul Foriers et des grands professeurs de droit positif qui participaient activement à leurs travaux, comme Walter Ganshof van der Meersch, Robert Legros et tant d’autres. Mais le mouvement en avait été impulsé auparavant par les maîtres de cette génération, qui avaient embrassé avec enthousiasme le mouvement européen de rénovation des idées juridiques, connu sous le nom de « libre recherche scientifique », avec le futur doyen Paul Vander Eycken et Henri de Page notamment. Ces idées nouvelles entraient en résonnance profonde avec la philosophie de l’ULB, en particulier le positivisme, le pluralisme et le pragmatisme, développés par Eugène Dupréel, le maître et l’inspirateur de Perelman.
En droit, il s’agissait de tourner le dos à une conception figée et abstraite pour privilégier l’étude du droit vivant et de son évolution dans la vie sociale, telle qu’il se révèle dans sa pratique et par l’examen des cas, spécialement dans la jurisprudence. Les praticiens de haut vol, grands avocats et hauts magistrats, qui assumaient les fonctions de professeur à la Faculté de Droit de l’ULB, réformèrent en ce sens en profondeur les modes d’enseignement du droit et de formation des futurs juristes, notamment par des cours centrés désormais sur l’étude des cas et des décisions judiciaires, la création des exercices pratiques par René Marcq dès 1920 et des travaux en forme de consultation pratique, mettant l’accent sur l’argumentation juridique et la discussion contradictoire. Des centres de recherche furent créés qui permirent le développement de recherches collectives et fournirent les cadres et les moyens nécessaires à la formation et à la perpétuation d’une véritable école de pensée. En droit civil, les juristes de l’école de Bruxelles inspirèrent des innovations considérables comme, parmi tant d’autres, l’abus de droit, l’extension de la notion de dommage, la responsabilité des pouvoirs publics, les théories de la cause, de l’apparence, de la caducité, les sûretés issues de la pratique, etc. Ils réélaborèrent cette matière fondamentale de fond en comble par leurs célèbres examens de jurisprudence, spécialement dans la Revue critique créée par Marcq, et par des ouvrages majeurs de référence du Traité élémentaire de droit civil belge de De Page et Dekkers au récent Droit des obligations de Pierre Van Ommeslaghe. Leur attention constante à la pratique leur permit de dégager les principes du droit commercial et d’en imposer l’autonomie avec Jean Van Ryn et aujourd’hui, avec Xavier Dieux, d’en repenser les sources et les logiques dans le contexte des transformations de la globalisation. En droit pénal, les thèses majeures de Robert Legros sur l’élément moral et de Paul Foriers sur l’état de nécessité transformèrent profondément la conception de l’infraction et la philosophie même de cette discipline. En droit public, Ganshof van der Meersch introduisit via la Cour de cassation d’importantes thèses de l’Ecole de Bruxelles dans le droit positif et d’abord les principes généraux du droit. Il permit en outre le contrôle par les cours et tribunaux de la conformité des lois aux règles internationales et européennes et engagea le mouvement qui devait conduire au contrôle de leur constitutionnalité. Fondateur de l’Institut d’études européennes de l’ULB et premier juge belge à la Cour européenne des droits de l’homme, il contribua, avec d’autres, à lancer l’Ecole de Bruxelles à la conquête de l’Europe. Car l’Ecole de Bruxelles ne limita jamais son audience ni son action au droit national, mais s’ouvrit au contraire largement au monde. Jacques Vanderlinden, anthropologue, comparatiste et historien du droit, travailla sur trois continents. Il est l’un des principaux théoriciens du pluralisme juridique, notion qui est considérée comme centrale dans les approches réalistes, sociologiques et pragmatiques du droit contemporain. Jean Salmon, qui participa activement aux séminaires de Perelman, sut allier de manière originale les thèses de l’Ecole de Bruxelles avec celles de l’Ecole de Reims pour imposer, avec ses disciples du Centre de droit international, une méthode rigoureuse et vigoureuse en droit international, fondée à la fois sur la conscience des rapports de force et sur la mobilisation de l’arsenal de l’argumentation juridique, dont l’efficacité pratique se mesure régulièrement auprès de la Cour internationale de justice. Quant aux disciples de Perelman lui-même, ils prolongent, au sein du Centre de philosophie du droit qui porte son nom, l’approche pragmatique de l’Ecole de Bruxelles dans l’étude d’un droit global en formation.
Le Cycle de conférences 2013 du Centre Perelman a pour objet l’étude de l’Ecole de Bruxelles et de sa conception du droit, au départ de ses réalisations et de ses grandes figures, dont les quelques lignes ci-dessus ne donnent qu’une idée très mince et tout à fait partielle. Il s’agit de mettre en évidence, sur la base de l’analyse des œuvres et de leurs auteurs, des relations qu’ils entretiennent, des innovations qu’ils ont apportées dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de la pratique du droit, des points de convergence et d’opposition entre eux, les éléments et les principes d’une conception spécifique du droit et les raisons de son succès et de son dynamisme. Si l’objectif de cette recherche est scientifique et non hagiographique, il s’agit bien pour autant aussi d’entreprendre une démarche réflexive qui, en faisant retour sur ce qui a été construit, doit permettre de mieux cerner ce qui fait aujourd’hui encore l’identité de l’Ecole de Bruxelles et de comprendre son programme et ses objectifs dans un contexte où tant le droit que l’université sont entrés dans une phase de transformations accélérées.