Thomas Berns, « Gouverner sans gouverner. Une archéologie politique de la statistique », PUF, 2009
Résumé
A partir des controverses politiques, morales et même théologiques entourant, au dernier quart du XVIe siècle, le projet de développer des actions de recensement des personnes et des richesses, l’auteur propose une genèse originale des principaux dispositifs normatifs non juridiques, et même anti-juridiques, à l’œuvre dans les pratiques néolibérales de gouvernement contemporain.
Etant donné les résistances morales et théologiques qui s’affirment à cette époque à l’encontre de ces projets de recensement, les penseurs qui défendaient ceux-ci insisteront en effet sur les capacités de ces dispositifs « statistiques » à déployer des actions normatives réflexives, modulables, lentes, constantes, progressives, en prise avec les mœurs collectives… et ce en évitant tout recours à l’action règlementaire, à la loi. Une normativité nouvelle est ainsi mise à jour, dans sa totale altérité par rapport à la loi – au point de permettre de penser cette dernière en creux. Il s’agit de réguler à la fois l’infime et le global, de saisir l’un et l’autre d’un seul geste, d’entrer dans le détail du secret de chaque maison en se souciant de la population dans son ensemble, de faire appel à des savoirs purement quantitatifs et à des techniques administratives en agissant au nom du bon sens et des vertus les plus évidentes, voire les plus moyennes, de saisir la société avec la clarté d’un tableau tout en agissant sur chaque individu de la manière la plus singulière et la plus réflexive. L’économie devient politique et la politique se fait domestique.
C’est ni plus ni moins que la vertu de la transparence qui apparaît ainsi, au même titre que l’idéal d’une retenue dans les actes de gouvernements et l’éloge des possibilités politiques normatives non juridiques reposant sur les valeurs et les affects les plus ordinaires. Bref, quelques-unes des caractéristiques principales de ces modes de gouvernement qui à notre époque se présentent comme animés par le refus de trop gouverner alors que, abordés dans le cadre de cette histoire longue, ils apparaîtront comme extrêmement prégnants et même moralisateurs : gouverner sans gouverner.
Ces tentatives multiples et récurrentes de gouverner sans gouverner – qui rythment donc notre histoire politique – permettent alors de regarder sous un jour nouveau cela même qu’elles prétendent éviter – la loi – et de questionner à nouveaux frais le rapport affectif qu’on noue à cette dernière pour la différence dont elle témoigne par rapport aux vertus statistiques.
Comptes rendus
Yves Citton, dans la Revue internationale des livres et des idées
Olivier Leclerc, dans le n° 3 des Cahiers Droit, Sciences et Technologies, 2010., cf. PJ.
Gaëlle Jeanmart, dans Critique, oct. 2010, p. 175-180.