Le président du centre de philosophie du droit de l’ULB, Benoît Frydman, revient sur cette fameuse amende infligée par les Etats-Unis à BNP Paribas. Pour rappel, la banque « franco-belge » est accusée ni plus ni moins d’avoir contourné les embargos sur Cuba et l’Iran en parfaite connaissance de cause puisqu’ayant cherché à maquiller ses activités. Un dossier emblématique pour la justice américaine. Au point que son attitude puisse paraître suspecte ?
8 à 9 milliards d’euros d’amende pour avoir violé les règles américaines d’embargo -avec des répercussions jusque chez nous puisque l’Etat belge est actionnaire de la banque française depuis la déroute Fortis- n’est-ce pas d’abord une amende « politique » ? « Ici c’est pas vraiment le fisc américain ; c’est surtout le département de la justice » qui intervient, ainsi que l’Etat de New York, avec le procureur qui était déjà intervenu dans l’affaire DSK, et enfin le « gendarme des banques » aux attitudes souvent sévères. « Effectivement il y a la volonté de frapper fort, très fort, peut être justement parce que jusqu’à présent les sanctions vis-à-vis des banques n’ont pas produit d’effets et donc on cherche à être créatif et à faire mal » explique Benoît Frydman.
Peut-on toutefois aller jusqu’à décrypter dans ce bras de fer la volonté de privilégier les intérêts américains, dans une sorte de « géostratégie » de la guerre économique ? « Je ne pense pas que ce soit la volonté de détruire une banque ; par contre ce qui semble établi c’est que les entreprises étrangères sont sanctionnées nettement plus fortement », relève le spécialiste du « droit global ». « Il y a un professeur de droit américain qui a calculé que les amendes étaient en général sept fois plus fortes pour les entreprises étrangères que pour les entreprises américaines », poursuit-il, soulignant encore que l’opinion publique américaine est très remontée contre les banques jugées responsables de la crise financière de 2008 : « C’étaient les banques américaines, elles n’ont pas été punies, et Barack Obama se rattrape ces derniers temps en tapant de préférence sur des banques étrangères. Ça a été Crédit Suisse dans une affaire fiscale -2,9 milliards d’euros- et c’est maintenant BNP Paribas… »
Des sanctons inédites
Mais, dit-il, il y aussi d’autres raisons qui expliquent la gravité de ces sanctions : « Toutes les grandes banques, notamment les européennes, se sont moquées et ont tranquillement contourné ces embargos ». Selon Benoît Frydman, l’idée est de frapper fort pour lutter contre la « criminalisation » des activités bancaires comme le blanchiment, la fraude fiscale, la corruption…
Difficile pour autant de voir dans ces décisions récentes et ces amendes extrêmement lourdes une réelle « croisade » contre le monde de la finance dérégulée. Benoît Frydman constate que les autorités américaines cherchent sans doute à marquer des points. Mais dans l’opinion publique américaine, « c’est l’impuissance et le manque de volonté du gouvernement. Beaucoup de banques ne sont pas poursuivies ou ne sont pas punies ». « Quand on est inefficace, on augmente les sanctions », souligne-t-il. Dans le cas présent, en outre, il y a la volonté du « gendarme des banques » de se montrer créatif en allant au-delà de l’amende financière -tout de même une année de bénéfices de BNP Paribas- en l’obligeant à plaider coupable. « Ça veut dire que si BNP Paribas accepte cet arrangement, elle va avoir un ’casier judiciaire’, et c’est embêtant pour une banque (…) ; et on va lui imposer de se défaire d’une trentaine de très hauts collaborateurs ». De plus, on discute également d’une sanction totalement inédite, à la manière du « time out » au rugby ou au hockey pendant lequel on empêcherait BNP Paribas d’effectuer des transactions en dollars pendant une durée déterminée. On parle de 90 jours, ce qui est « une éternité dans le monde bancaire ». « Et ça si on applique cette sanction-là, on ne sait pas exactement quels pourront en être les effets et et cela ennuie beaucoup BNP Paribas ».
Un « accord » pour l’exemple ?
BNP Paribas risque donc fort de payer « pour l’exemple ». Car dans l’opinion américaine prévaut l’idée que les banques s’en sortent trop bien, à l’instar de la banque suisse UBS, coupable d’avoir organisé la fraude fiscale de citoyens américains et qui « s’en repart en sifflotant » après s’être acquittée d’une amende financière. Et, selon Benoît Frydman, la réponse « diplomatique » de Barack Obama à François Hollande, disant en substance ne rien « pouvoir faire », cache en réalité assez mal le fait que la Maison Blanche, si elle est intervenue, serait plutôt allée dans le sens d’une sévérité accrue…
La morale de cette histoire tient dans la « créativité » dont doivent aujourd’hui faire preuve les régulateurs. « Oui dans un environnement global, la monnaie devient un instrument du droit et de la régulation globale (…) ». « On dénonce les lois extraterritoriales, mais ce qu’il faut savoir c’est que notre principe de territorialité des lois dans un monde où les flux sont globaux est inadapté », conclut Benoît Frydman. « C’est comme essayer d’attraper des étoiles filantes avec un filet à papillons. Il faut changer notre système plutôt que de dénoncer l’impérialisme des autres ».
Et de proposer d’adapter chez nous la pratique américaine plutôt que de voir les banquiers convaincus de fraude s’en tirer par le simple écoulement du temps : « On verra ce que va donner l’affaire UBS Belgium mais on se souvient tous que l’affaire de la KB LUx n’a rien donné. Pourquoi ne pas aller vers des transactions où on parle de plusieurs milliards d’euros, c’est quelque-chose qui compte avec les plans d’économie qu’on nous annonce pour le prochain gouvernement ».
T.N.