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La justice, l’affaire de tous.

Jean-Claude Matgen analyse les propos de Benoît Frydman, Professeur à l’ULB, sur le thème : « La participation du citoyen à l’administration de la justice ». Analyse parue dans le site web de la Libre Belgique le 25 novembre 2005.


Les citoyens veulent participer davantage à l’administration de la justice. Colloque sur une question d’une brûlante actualité. Benoît Frydman croit que la cohabitation entre juges citoyens et magistrats professionnels va s’accentuer.

ANALYSE

L’organisation d’un colloque consacré à « La participation du citoyen à l’administration de la justice » tombe deux jours après la présentation de mesures visant à rénover la cour d’assises et l’institution du jury populaire.

Le fait que l’exposé introductif ait été confié à Benoît Frydman, professeur à l’ULB, directeur du centre de philosophie du droit mais aussi président de la commission qui a planché sur la réforme de la cour d’assises, n’est pas dû au hasard. L’exposé de M.Frydman tourne autour du rapprochement entre deux cultures longtemps antinomiques, la justice par les pairs et la justice par le tiers.

Les magistrats non professionnels sont des acteurs familiers de la justice. On les rencontre à divers endroits (jurés, conseillers sociaux, juges consulaires, membres non juristes de la Cour d’arbitrage…). Pour autant, observe Benoît Frydman, ils font figure dans notre inconscient judiciaire de personnages atypiques, la figure « normale » du magistrat restant celle du juge professionnel.

Jugé par ses semblables

Dès lors, deux questions se posent : quel est l’apport spécifique des non-professionnels au service public de la justice et comment concilier leur présence avec l’idée traditionnelle que nous nous faisons du magistrat professionnel et savant du droit ?

Les magistrats non professionnels sont nés de la revendication d’être jugé par ses pairs. Une revendication qui a traversé le temps et l’espace. Benoît Frydman montre que le principe du recours à une telle catégorie de magistrats ne dépend pas de la vision de la société ou de son organisation politique mais que c’est toujours le droit pour un justiciable d’être jugé par ses semblables qui est affirmé.

Cette justice par les pairs entre, ajoute M. Frydman, en collision avec la figure du magistrat professionnel dont la qualité de tiers est tenue pour déterminante. Cette justice conçue comme instance extérieure aux justiciables plonge, elle aussi, ses racines dans un passé immémorial.

A la justice « d’en bas », s’oppose une justice transcendante, qui procède de Dieu puis du Roi, son représentant sur terre. Le Roi l’exerce directement ou la délègue. Le juge est dès lors un agent du souverain chargé de dire le droit en son nom et d’exécuter sa volonté.

Réticences

Certes, remarque M. Frydman, cette conception a évolué dans notre ordre constitutionnel démocratique mais cette évolution a plutôt renforcé la position de tiers des magistrats, dont le statut repose sur les principes d’indépendance et d’impartialité. C’est d’ailleurs au nom de ces principes que nombre de magistrats professionnels ont manifesté leur réticence à l’égard des juges laïques, stigmatisant leur absence de formation juridique et leur manque d’expérience. Ce fut notamment le cas des jurés d’assises, qui viennent, une nouvelle fois, d’échapper à des adversaires acharnés.

Ce qui étonne, poursuit le professeur, ce n’est pas la persistance de ces critiques mais la force de résistance des juges non professionnels. Leur survivance au sein d’une justice n’échappant pas au règne de la spécialisation est surprenante.

Ils ont fait mieux, en renversant la tendance en leur faveur. Ils sont nombreux et bon marché ; ils apportent leur connaissance du terrain ; ils renforcent la confiance dans la justice et le contrôle de son bon fonctionnement ; ils contribuent à la maintenir en éveil ; leur participation au délibéré serait de nature à mieux faire accepter la décision par les parties, comme on a pu le mesurer dans certaines affaires récentes.

Selon Benoît Frydman, s’impose désormais l’image du juge citoyen, qui met en évidence la dimension politique de la fonction de magistrat non professionnel. La participation de citoyens est conçue comme moyen de lutter contre le danger d’un certain corporatisme judiciaire. Ce n’est pas une théorie nouvelle mais elle a pris de l’ampleur.

Métissage

Quant à l’avenir, M. Frydman le voit dans un rapprochement de ces deux cultures. Elles travaillent déjà ensemble. Et le mouvement s’amplifie. Là où les juges citoyens siégeaient seuls (jury d’assises, tribunal de commerce…), on tend à leur adjoindre des magistrats professionnels ; là où ces derniers siégeaient seuls, on tend à adjoindre au siège des magistrats non juristes. L’espoir est de cumuler les avantages de leurs apports spécifiques. Ce « métissage culturel » fera-t-il sortir une justice meilleure ? Le débat est ouvert.


Cette analyse est disponible sur le site de la Libre Belgique.

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